PC citrouille
25/12/2007 08:16 par happy-halloween
Le jeune homme et la mort
Un jeune homme voulait se marier. La mort brutale se dresse devant lui :
" le jour de ton mariage, dit-elle, tu vas mourir. "
Le jeune homme tressaille. Il ne dit rien. Il s’en va, il arrive au pied du mont Pletchna. Là-haut, assis sur son trône aérien, un vieillard à longue barbe blanche apparaît, son sceptre à la main. Son visage est lumineux. Il demande :
" Mon garçon, pourquoi es-tu ici ? où vas-tu ? "
" Moi, dit le jeune homme, je fuis la mort "
Le vieillard réfléchit, il hoche la tête, se frotte la barbe, et se tourne vers le jeune homme :
" Crois-moi, personne encore n’a réussi à échapper à cette horrible peste. Mais, écoute, c’est moi qui détiens le pouvoir de couper le fil de la vie, c’est moi qui dis : Prends l’âme d’un tel, qu’un tel ait une vie brève, un tel une longue vie. "
Mais qui es-tu, Bâb ?
On m’appelle le Temps
Si tu as une telle puissance entre les mains, Bâb, je me jette à tes pieds, délivre-moi, tu vois que je suis un jeune garçon, plein de désirs, pourquoi la mort me fait-elle une telle vilenie, que lui ai-je fait ?
Le vieillard s’apitoie et dit :
" Puisqu’elle t’a fait peur, et que tu t’es sauvé, sois un vagabond, va maintenant, à cent pas d’ici, à droite sous un prunier sauvage coule une source limpide comme un œil de grue, va, bois cette eau, ta peur s’évanouira et la patience tu acquérras, va ton chemin ! que Dieu soit avec toi, va ! "
Le jeune homme baise les mains du vieillard, le remercie, va boire l’eau qui dissipe sa peur et le rend patient. Il se met en route, il marche, il marche… Il arrive dans une ville au bord de la mer, il y travaille plusieurs années, il gagne beaucoup d’argent, il retourne dans son village.
A peine entré dans sa maison, soudain, la mort se dresse devant lui.
" Tu t’étais sauvé, hein ? Mais qui peut s’arracher de mes mains ? Allons, donne-moi ton âme ! "
La mère se jette entre eux :
" Mon jeune enfant, dit-elle, pourquoi veux-tu le tuer ? Si tu veux une âme, prends la mienne ! "
La mort lui retire son âme, depuis les pieds jusqu’à la gorge. La mère ne supporte pas la douleur, elle dit :
" Ah ! Ah ! Ne prends pas mon âme ! "
Le père se jette entre eux :
" Mon fils unique, le pilier et la lumière de ma maison, ne le tue pas, si tu veux une âme, prends la mienne ! "
La mort lui retire son âme, depuis les genoux jusqu’au bout de la langue. Le père ne supporte pas la douleur, il dit :
" Par la grâce de ton soleil, ne prends pas mon âme ! "
Alors le garçon dit :
" Je ne leur en veux pas, ils ont voulu partager ma faute.
Puisque tu es venue, viens, allons chez ma fiancée, si elle ne veut pas donner son âme, alors, contre mon gré, tu prendras la mienne. "
Ils vont chez la fiancée. Quand la jeune fille les voit, elle ne fait aucun cas de la mort, elle court, elle se serre contre son bien-aimé, elle l’embrasse passionnément, elle l’enlace, on dirait qu’ils ne sont qu’une âme et qu’un corps.
" Holà, dit la mort, ça suffit ! mon temps est compté. Quelle est ta décision maintenant ? "
Qu’est-ce que tu veux ? demande la jeune fille.
L’âme du garçon.
Ne prends pas la sienne, prends la mienne !
La mort lui retire son âme depuis les ongles jusqu’au bout des cheveux. La jeune fille dit :
" Pourquoi me tortures-tu ? Si tu veux mon âme, prends-la d’un seul coup ! Seulement, avant de la prendre, laisse-moi embrasser mon fiancé encore une fois
La mort prend l’âme de la jeune fille, mais elle est très étonnée, elle regarde le garçon, elle regarde la fille… Son cœur s’attendrit, elle lui rend son âme, elle les laisse et s’en va.
Les fiancés, débordant de joie, rentrent à la maison. Ils font la noce pendant trois jours et trois nuits, ils réalisent leurs vœux.
Trois pommes sont tombées du ciel, une pour la mariée, une pour le marié et une pour le vieillard à barbe blanche qui a été, est et sera jusqu’à la fin du monde. Amen.
FIN
Tom et le Secret du Château Fort
Tom aimait tellement se promener dans le grand château fort qu'il ne voulait plus en partir. Depuis maintenant des heures, entraînant à sa suite ses parents fatigués, le petit garçon parcourait l'immense forteresse médiévale en tous sens. Il n'avait jamais vu un château aussi grand et aussi majestueux. Bien sûr, il adorait les souterrains, mais il aimait aussi courir sur le chemin de ronde qui reliait les imposantes tours surmontées de créneaux. Perché sur la pointe des pieds, accroché au parapet et plissant les yeux face au vent, il observait la forêt qui entourait le château. Il s'imaginait défendre son donjon contre les redoutables assaillants qui le cernaient. Loin en contrebas, Tom ne voyait que des touristes regagnant leur voiture, mais cela ne l'empêchait pas de s'en méfier ! Il était si haut que de sa place, les gens ressemblaient à des fourmis. Il quitta son poste de surveillance pour courir jusqu'à la meurtrière voisine. - Tom, arrête de courir ! lui cria sa mère une fois de plus. Il faut partir maintenant. Le château ferme dans cinq minutes et nous avons encore de la route. Sa voix se perdit dans l'écho des épais murs de pierre. Tom serra son ours contre lui. Il ne devait pas paniquer. Ses parents allaient venir le chercher. Il leur avait dit qu'il allait à la salle des gardes, et c'est là qu'il décida d'aller attendre. En remontant les étages de la forteresse, Tom n'était pas vraiment rassuré. Si le fait d'avoir ce grand château pour lui tout seul lui plaisait, le vent lugubre qui sifflait à chaque angle de corridor, les grands visages sévères sur les peintures qui semblaient le fixer l'effrayaient un peu. Lorsque sa mère le secoua doucement, Tom se réveilla. Il était allongé sur le banc de la salle des gardes, son ours contre lui. FIN
- D'accord, mais on redescend par la salle des gardes ! répondit le jeune garçon en s'engouffrant dans un escalier en colimaçon.
Tout dans ce magnifique endroit enflammait son imagination, surtout la salle des gardes. Tom était fasciné par la collection de lances et d'épées. Mais le plus impressionnant pour lui restait les armures. Il les regardait longuement, convaincu qu'à un moment ou un autre, elles allaient se mettre à bouger…
Il fallut que son papa grogne pour que Tom accepte enfin de quitter le château. En arrivant au parking, il jeta un dernier coup d'œil au château. Sa silhouette massive se découpait dans le jour qui déclinait. Tout à coup, Tom poussa un cri :
- J'ai oublié Nanours !
- Oh non, soupira sa maman. Tu as perdu ton doudou ?
- Je sais où il est. Je l'ai posé dans la salle des gardes.
Sa mère s'apprêtait à rebrousser chemin lorsque Tom lui dit :
- Je peux aller le chercher tout seul, j'irai plus vite…
Tom s'élança vers le château. Il se faufila entre les derniers visiteurs qui partaient. Il monta les escaliers à toute allure. Malgré le dédale de couloirs et de pièces, il n'eut aucun mal à retrouver la salle des gardes. Nanours l'attendait bien sagement. Le petit ours brun au museau usé était tombé derrière un banc.
- Génial, tu es là ! s'exclama Tom. Dépêchons-nous, ou on va se faire gronder !
Le petit garçon prit le chemin de la sortie. Cette fois, le château semblait différent. Les couloirs étaient déserts et il n'y avait plus aucun bruit. Lorsque Tom arriva à l'entrée, il trouva les deux lourdes portes fermées.
- Il y a quelqu'un ? appela-t-il.
Lorsqu'il retrouva la salle des gardes, la lumière avait été éteinte et seules les veilleuses donnaient encore un peu de clarté. Les ombres des armures s'allongeaient sur le mur. Tout était silencieux. Tom prit place sur le banc et pour se rassurer, se mit à parler à son ours en peluche.
- On ne doit pas avoir peur, Nanours. Papa et maman vont venir. En attendant, on reste là, tout seuls.
- En es-tu certain ? répondit une voix surgie de nulle part.
Tom se figea. Il était pétrifié. La voix semblait être sortie d'une des armures.
- N'aie pas peur, mon garçon, reprit la voix. Je t'observe depuis que tu as pénétré dans le château et tu sembles aimer l'aventure et les mystères…
Tom ne répondit pas. Il était recroquevillé sur son banc, prêt à hurler si une de ces armures se mettait à bouger.
Soudain, dans l'un des murs de la salle, un passage secret s'ouvrit. Un panneau de bois pivota, révélant un petit couloir sombre qui s'enfonçait dans la muraille.
- Entre, mon garçon, fit la voix. Tes parents seront là dans quelques instants et d'ici là, je voudrais te montrer quelque chose…
- Laissez-moi tranquille, répondit Tom. Je ne vous connais pas.
- Tu es pourtant chez moi, répondit la voix. Je suis le chevalier de Perthuis, et je hante mes murs depuis plus de cinq siècles. Je n'ai jamais fait de mal à qui que ce soit depuis que je suis un fantôme, mais je dois avouer que je m'ennuie un peu. C'est pourquoi je voudrais te donner envie de revenir me voir de temps en temps.
Tom n'était pas rassuré du tout, mais la voix n'avait rien de menaçant. Il tendit le cou pour essayer de voir où conduisait le passage secret, mais il y faisait trop noir. Il se leva pour s'approcher. Une des armures tendit un bras pour l'inviter à pénétrer à l'intérieur. Tom eut un nouveau frisson.
Il passa la tête dans l'ouverture et comme par magie, des flambeaux s'allumèrent, éclairant un escalier qui s'enfonçait dans les profondeurs de la terre.
- Tu sais, reprit le fantôme du chevalier de Perthuis, beaucoup de gens ont cherché mon trésor, mais personne ne l'a jamais trouvé. Il m'arrive parfois de le montrer à ceux que j'aime bien.
- Qu'est-ce qui me dit que vous n'allez pas m'enfermer dans une oubliette ?
La voix se changea en rire.
- Tu sais, mon petit, en visitant mon château, tu es souvent passé devant mes pièges et si j'avais voulu, tu aurais pu disparaître à de nombreuses reprises sans que personne ne te retrouve jamais. Mais là, je te parle de trésor et d'un secret que nous partagerons tous les deux…
Tom s'engagea dans le passage. Aussitôt, le panneau de bois se referma derrière lui.
- Ne crains rien, fit la voix. Descends me rendre visite et tu découvriras tout ce dont les enfants rêvent…
Dans la chaude lueur des torches qui s'allumaient au fur et à mesure, Tom descendit l'escalier. Il était interminable et conduisait à l'évidence bien plus bas que le plus profond des souterrains connus. De temps en temps, une toile d'araignée barrait le chemin, mais Tom n'en avait pas peur. Après des centaines et des centaines de marches, il arriva enfin face à une solide porte en bois renforcée de ferrures rouillées. Elle s'ouvrit devant lui en grinçant.
- Avance, tu es presque arrivé.
Tom sentit un souffle le frôler. Il serra Nanours encore plus fort contre lui.
- Je dois te confier quelque chose, fit la voix.
La porte se referma derrière Tom. Un des murs de la petite pièce voûtée bascula, révélant un énorme coffre moyenâgeux couvert de poussière.
- Je ne suis plus qu'un fantôme et à part vous observer, je n'ai rien à faire. Parfois, je voudrais bien admirer mon trésor mais, en tant qu'esprit, je ne peux même pas soulever le couvercle qui le protège. Veux-tu le faire pour moi ? J'ai confiance en toi.
Tom s'approcha du coffre. Il lui fallut toute sa force pour réussir à l'entrouvrir. Aussitôt, un reflet doré apparut. Le jeune garçon souleva encore, soufflant sous l'effort. A présent, le coffre était grand ouvert. Le fantôme du chevalier ne lui avait pas menti. Il avait sous les yeux ce dont rêvent tous les enfants : un trésor !
- Voilà bien longtemps que je ne l'avais pas contemplé, fit la voix, émue.
Tom sentit le souffle le frôler à nouveau.
- Tu ne dois en parler à personne, mon petit.
- Promis !
- Pour te récompenser, tu as le droit de garder une pièce, une seule.
Les yeux de Tom se mirent à briller.
- Va, sers-toi, insista la voix. Un jour ce coffre sera vide, mais ce ne sera pas une mauvaise nouvelle : cela voudra dire que j'aurai rencontré autant de gens bien qu'il y a de pièces et qu'aucun ne m'aura trahi. Alors, je serai en paix.
Tom prit une pièce et referma ses petits doigts dessus. Aussitôt, il sentit une immense fatigue. Il voulait continuer à admirer le trésor, mais ses yeux se fermèrent malgré lui. Tout à coup, il s'endormit.
- Eh bien, mon Tom, tu nous as fait une sacrée peur ! lui fit sa maman, trop heureuse de le retrouver.
- Maman, il m'est arrivé un truc incroyable.
Tom observa autour de lui. Son aventure n'était sûrement qu'un rêve. L'armure avait les bras bien le long du corps et même en étudiant de près, aucun passage n'était détectable dans le mur. Un peu déçu, Tom avança derrière sa mère. C'est alors que dans sa poche, il sentit quelque chose de rond. Il sortit l'objet : c'était une pièce d'or !
En quittant le château, Tom déclara :
- Au revoir, monsieur le Chevalier. Promis, je reviendrai vous voir ! Et comptez sur moi, je ne dirai rien !
- A qui parles-tu ? demanda sa mère.
- Au seigneur de ce château.
- Ah là là, les enfants, quelle imagination vous avez !
Je suis une sorcière
Depuis mes nuages j'aperçois le monde Sur mon balai je vole je virevolte Qu'il fasse jour ou nuit, mes mots s'en vont au vent Sur mon balai, je lance sur mon passage
Tourmenté par l'orage d'un mal qui gronde
J'apprête une potion que l'on dit mystique
Dans mon chaudron des ingrédients magiques 
Toujours affairée, je sème et je récolte
Les graines du bonheur, les jette aux quatrre vents
Allant toucher le coeur, de chacun des passants
Pour chasser l'ennui encourager les amants
Qu'ils voient toujours que le bon côté des choses
Si un amour s'enfuit, des nouvelles éclosent
Du sable enchanté, pour chasser les nuages
A tous coeurs chagrins, leur redonner l'espoir
Et que chaque matin au bonheur il faut y croire...
La mort à dîner
Ceci se passait au temps où les riches n'étaient pas trop fiers et savaient user de leur richesse pour donner quelquefois un peu de bonheur au pauvre monde.
En vérité, ceci est passé depuis bien longtemps. Laou ar braz était le plus grand propriétaire paysan qui fût à Pleyber-Christ. Quand on tuait chez lui, soit un cochon, soit une vache, c'était toujours un samedi. Le lendemain, dimanche, Laou venait au bourg, à la messe matinale. La messe terminée, le secrétaire de mairie faisait son prône, du haut des marches du cimetière, lisait aux gens assemblés sur la place les nouvelles lois ou publiait, au nom du notaire, les ventes qui devaient avoir lieu dans la semaine.
"A mon tour !" criait Laou, lorsque le secrétaire de mairie en avait fini avec ses paperasses.
"Ca ! disait-il, le plus gros cochon de Kéresper vient de mourir d'un coup de couteau. Je vous invite à la fête du boudin. Grands et petits, jeunes et vieux, bourgeois et journaliers, venez tous ! La maison est vaste : et à défaut de la maison, il y a la grange ; et à défaut de la grange, il y a l'aire à battre."
Vous pensez si, quand paraissait Laou bras sur la croix, il y avait foule pour l'entendre ! C'était à qui ramasserait les paroles de sa bouche. On assiégeait les marches du calvaire.
Donc c'était un dimanche, à l'issue de la messe. Laou lançait à l'alligrapp (à l'attrape qui pourra) son annuelle invitation : "Venez tous ! répétait-il, venez tous !" A voir les têtes massées autour de lui, on eût dit un vrai tas de pommes, de grosses pommes rouges, tant la joie éclatait sur les visages. "N'oubliez pas, c'est pour mardi prochain", insistait Laou.
Les morts étaient là sous terre. On piétinait leurs tombes. Mais en ce moment-ci qui donc s'en souciait ? Comme la foule commençait à se disperser, une petite voix cassée interpella Laou ar Braz.
- "Me iellou ive ?" (irais-je aussi moi ?)
- "Damné soit-je ! s'écria laou, puisque je vous invite tous c'est qu'il n'y aura personne de trop."
La joyeuse perspective d'un grand repas à Keresper fit que beaucoup de gens se soûlèrent ce dimanche là, que pas mal d'autres se soûlèrent encore le lundi, pour mieux fêter le lendemain la mort du prince (l'un des sobriquets du cochon). Dès le mardi matin, ce fut une interminable procession dans la direction de Keresper. Les plus aisés suivaient la route en chars à bancs ; les mendiants s'acheminaient, par les sentiers de traverse, sur leur béquille. Chacun était déjà attablé devant une assiette pleine, lorsqu'un invité tardif se présenta. Il avait l'air d'un misérable. Sa souquenille de vieille toile, toute en loques, était collée à sa peau et sentait le pourri.
Laou ar Braz vint au-devant de lui et lui fit faire une place. L'homme s'assit, mais ne toucha que du bout des dents aux mets qu'on lui servait. Il s'obstinait à garder la tête baissée et, malgré les efforts de ses voisins pour entrer en conversation avec lui, il ne desserra pas les lèvres, de tout le repas. Personne ne le connaissait. Des anciens lui trouvaient la mine de quelqu'un qu'ils avaient connu naguère, mais qui était mort, voici beau temps. Le repas prit fin. Les femmes sortirent pour jacasser entre elles, les hommes pour allumer une pipée. Tout le monde était en joie.
Laou se posta à la porte de la grange où avait eu lieu le festin, afin de recevoir le trugaré, le merci de chacun. Force gens bredouillaient et titubaient. Laou se frottait les mains. Il aimait bien qu'on s'en allât de chez lui plein jusqu'à la gorge.
"Bien ! dit-il, il y aura, ce soir , dans les douves des chemins aux abords de Kéresper des pissées aussi grosses que des ruisseaux." Il était enchanté de lui, de ses cuisinières, de ses tonneaux de cidre et de ses convives. Soudain il s'aperçu qu'il y avait encore quelqu'un à table. C'était l'homme à la souquenille de vieille toile.
"Ne te presse pas, dit Laou en s'approchant de lui. Tu étais le dernier arrivé ; il est juste que tu sois le dernier parti, Mais ajouta-t-il, tu risques de t'endormir devant une assiette et un verre vide."
L'homme avait, en effet retourné son assiette et son verre. En entendant les paroles de Laou, il leva lentement la tête. Et Laou vit que cette tête était une tête de mort. L'homme se mit sur pied, secoua ses haillons qui s 'éparpillèrent à terre, et Laou vit qu'à chaque haillon était accroché un lambeau de chair pourri. L'odeur qui s'en exhalait, et aussi la peur, le prit à la gorge. Laou retint son haleine pour n'aspirer point cette pourriture et demanda au squelette :
- "Qui es-tu et que veux-tu de moi ?"
Le squelette, dont les os se voyaient maintenant à nu comme les branches d'un arbre dépouillé de ses feuilles, s'avança jusqu'à Laou et, lui posant sur l'épaule une main décharnée, lui dit :
"Trugaré, Laou ! Quand je t'ai demandé au cimetière, si je pouvais venir aussi, tu m'as répondu qu'il n'y aurait personne de trop. Tu t'avises un peu trop tard de t'informer qui je suis. C'est moi qu'on nomme l'Ankou (la mort). Comme tu as été gentil pour moi, en m'invitant au même titre que les autres, j'ai voulu te donner à mon tour une preuve d'amitié, en te prévenant qu'il ne te reste pas plus de huit jours pour mettre tes affaires en règle. Dans huit jours je repasserais par ici en voiture, et, que tu sois prêt ou non, j'ai mission de t'emmener. Donc, à mardi prochain ! Le repas que je te ferais servir ne vaudra peut-être pas le tien, mais la compagnie sera encore plus nombreuse. " A ces mots, l'Ankou disparut.
Laou ar Braz passa la semaine à faire le partage de ses biens entre ses enfants ; le dimanche, à l'issue de la messe, il se confessa ; le lundi, il se fit apporter la communion par le recteur de Pleyber-Christ et ses deux acolytes ; le mardi soir, il mourut. Sa largesse lui avait valu de faire une bonne mort.
Ainsi soit-t-il pour chacun de nous !
FIN
Anatole LE BRAZ
Le fantôme des arbres
Dans l'ancien temps, il y avait un homme qui s'appelait Pâdîn Ruadh 0'CeaIlaigh et qui demeurait au pied de la colline du Petit-Nêifin. Il était marié, mais il n'avait pas d'autre enfant qu'une fille, qui était aveugle de naissance. Voici le nom que lui donnaient les voisins: Nora Dall (Nora l'aveugle), et ils avaient l'idée qu'elle avait des rapports avec les bonnes gens.
Pâidîn n'avait dans sa ferme que deux âcres de terre, et pour cette raison, il était très pauvre; il était dehors chaque nuit, qu'il fît humide ou sec, froid ou chaud, il ne savait pas ce qui l'attirait dehors, mais il était d'une nature remuante et il ne pouvait pas rester chez lui. Dans l'ancien temps, les gens croyaient que tous les pûca et les fantômes de la terre sortaient la nuit de Samhain pour détruire les mûres, et les gens n'auraient pas mis la moindre mûre dans leur bouche après cette nuit-là. Mais Pâidîn n'avait peur de rien au monde.
Une nuit de Samhain, Pâidîn sortit, comme il en avait l'habitude, et il marcha jusqu'à ce qu'il arrive à la hauteur d'une vieille cill (nom de l'enclos qui contient l'église et le cimetière). Il y avait un arbre élevé dans la cill. La lune était dans son plein et elle donnait une belle lumière; Pâidîn regarda en l'air et il vit un homme grand qui sautait d'arbre en arbre. Tous les cheveux qu'il avait sur la tête se dressèrent et une sueur froide commença à couler sur son corps; il ne pouvait pas mettre un pied devant l'autre. Le fantôme sauta à terre, s'arrêta devant Pâidîn et lui dit :
- N'aie pas peur de moi, je ne te ferai aucun mal ; tu as bon courage et je vais te montrer la troupe des fées de Connacht (Connaught) et de Mûmhan (Munster) en train de jouer à la balle sur le sommet de la colline du Grand-Nêifin.

II saisit Pâidîn par les deux mains, le jeta sur son dos comme une femme jette un enfant d'un an, sauta sur l'arbre et, en route, d'arbre en arbre, jusqu'à ce qu'il arrive au sommet du Grand Nêifin et qu'il dépose Pâidîn doucement et mollement au sommet de la colline. La troupe des fées de Connacht et celle de Mûmhan ne furent pas longues à arriver; elles se mirent à jouer à la balle en présence de Padraic et du fantôme, et jamais homme vivant n'avait vu une chose aussi amusante: Pâidîn riait tant qu'il pensa éclater. À la fin, le roi de la troupe des fées de Connacht s'écria :
- Hé ! fantôme des arbres, quelle est la troupe qui a gagné la partie?
- La troupe de Connacht, dit le fantôme.
- Tu es en train de dire un mensonge, dit le roi de la troupe des fées de Mûmhan, et nous allons combattre avant d'abandonner la partie aux gens de Connacht.
Ils commencèrent à combattre et ce n'était pas un combat pour rire qu'ils livrèrent, on brisa des crânes, des mains et des pieds et la colline fut rouge de sang. Le roi des fées de Mûmhan jeta un cri à la fin, et dit :
- Paix, je vous cède la victoire cette fois-ci, mais nous combattrons de nouveau la nuit de Bealtaine.
Alors le fantôme des arbres dit aux deux rois:
- Payez cet homme en vie que j'ai amené ici, vous n'auriez pas pu jouer à la balle sans lui.
- Tu dis vrai, dit le roi de la troupe des fées de Connacht, et il tendit une bourse d'or à Pâidîn.
- Je ne serai pas moins généreux que lui, dit le roi de la troupe des fées de Mûmhan, et il lui tendit une autre bourse, et en un tour de main, les deux troupes disparurent.

Alors le fantôme lui dit :
- Tu as pas mal d'argent maintenant, y a-t-il quelqu'autre chose que tu désirerais?
- Oui, en vérité, il y en a, dit Pâidîn : j'ai une fille qui est aveugle de naissance, et je voudrais bien qu'elle vît clair.
- Elle verra clair avant que le soleil ne se couche, demain soir, dit le fantôme, si tu suis mon conseil. Il y a un petit buisson qui croît sur la tombe de ta mère; prends-en une épine et enfonce-la dans la pustule qui est derrière la tête de ta fille, et elle verra aussi bien que toi; mais si tu racontes ton secret à n'importe quel homme vivant, elle deviendra aveugle de nouveau. Il est temps pour nous maintenant de nous en aller, car j'ai à te montrer ma demeure avant que tu ne retournes chez toi.
Alors, il prit Pâidîn des deux mains, il le jeta sur son dos et, en route, il ne s'arrêta pas jusqu'à ce qu' il le dépose sous le grand arbre, dans la cill, doucement et mollement. Puis il saisit l'arbre, le souleva et dit :
- Suis-moi.
Pâidîn entra et le fantôme tira l'arbre après lui; ils descendirent un bel escalier et arrivèrent à une grande porte; il ouvrit la porte et ils entrèrent. Quand Pâidîn regarda autour de lui, il vit bon nombre de gens qui étaient morts dans son voisinage, des années auparavant; quelques-uns souhaitèrent la bienvenue à Pâidîn et ils lui demandèrent quand il était mort :
- Je ne suis pas mort encore, dit Pâidîn.
- Tu plaisantes, dirent-ils, et s'il n'était pas vrai que tu es mort, tu ne serais pas ici au milieu de la troupe des trépassés.
Le fantôme s'approcha, et dit:
- Ne crois pas ces gens-là; tu as une longue vie heureuse devant toi; viens avec moi maintenant; il sera temps pour toi de retourner à la maison. Voici pour toi un petit pot, et n'importe quand tu auras besoin de nourriture, frappe trois coups sur la pierre et dis : « Nourriture et boisson, et gens de service », et tu auras tout ce que tu désires, mais si tu t'en sépares, tu t'en repentiras. Voici aussi pour toi un petit sifflet, et, n'importe quand tu seras en détresse, souffle dedans, et tu seras secouru, mais, sur ton âme, ne t'en sépare pas.

Là-dessus, il enleva Pâidîn ; il le laissa sur la route et lui dit :
- Sur ton âme, ne raconte à nulle personne vivante aucune des choses que tu as vues cette nuit.
Pâidîn alla chez lui, à la pointe du jour, et sa femme lui demanda où il avait passé la nuit.
- Je n'ai pas flâné, dit-il.
Il déposa le petit pot et il dit :
- "nourriture et boisson", mais il avait oublié de frapper les trois coups sur la pierre et il ne vint rien du tout; il se rappela alors, il frappa les trois coups et deux jeunes femmes sautèrent hors du pot, mirent la table, et dessus toutes sortes de choses à manger et à boire aussi bonnes que celles qui étaient sur la table du roi. Pâidîn et sa femme et Nôirîn Dall mangèrent et burent bien leur content et quand ils eurent fini, les jeunes femmes entrèrent dans le pot et Pâidîn mit la pierre dessus. Alors il dit à sa femme :
- Nôirîn ne sera pas longtemps aveugle, je vais la guérir sans retard, mais ne me demande pas de renseignements à ce sujet, car je ne puis pas t'en donner.
- Tu es en train de te moquer de moi, dit la femme, elle est aveugle de naissance.
- Attends à voir, dit Pâidîn.
Et le voilà sorti, et il ne s'arrêta pas qu'il ne fût arrivé au buisson qui croissait sur la tombe de sa mère; il trouva l'épine et vint à la maison; il saisit Nôirîn, il enfonça l'épine dans la pustule et elle s'écria:
- Je vois tout!
La mère se frotta les mains de joie et dit à Pâidîn :
- L'amour et la veine de mon coeur, c'est toi; tu es l'homme le meilleur qu'il y ait au monde.
Ensuite, il frappa trois coups sur la pierre du petit pot et dit :
-"Nourriture et service".
Ces mots n'étaient pas plus tôt hors de sa bouche que les deux femmes sortirent du pot; mirent la table devant Pâidîn, et dessus, toutes sortes de choses meilleures que celles qui étaient sur la table du roi ; ils mangèrent et burent, lui, sa femme et Nôirîn, tout leur content, et, quand ils eurent fini, les jeunes femmes mirent tout dans le pot, elles y entrèrent elles mêmes et Pâidîn mit la pierre sur le pot.

Le bruit se répandit que Pâidîn avait beaucoup de richesses, et tout ce qu'il désirait. Les gens furent remplis d'envie, et se dirent les uns aux autres qu'il n'était pas juste qu'il fût en vie, et ils formèrent un complot pour le tuer; mais il y avait parmi eux un ami; c'était le frère de la femme de Pâidîn, et celui-ci le prévint. Pâidîn mit le sifflet dans la bouche; il souffla dedans et peu de temps après, il entendit murmurer à son oreille :
- Sors, et prends les herbes qui sont dans ton jardin, au pied du mur ; manges-en et donne le reste à ta femme et à ta fille, et chacun de vous aura autant de fois la force d'un homme qu'il y a de cheveux sur vos têtes. Avec le maillet qui est sur le mur de ta maison, tu peux battre tout ce qu'il y a d'hommes dans la paroisse.
Au matin, le lendemain, les hommes et les femmes du village vinrent pour tuer Pâidîn ; ils l'appelaient Lorgadân et Fearsidh (homme-fée) et dirent que s'il ne sortait pas, ils brûleraient la maison par-dessus sa tête. Pâidîn vint à la porte, leur dit de s'en retourner chez eux, qu'il n'avait fait de tort à aucun d'entre eux; mais rien ne pouvait les satisfaire, sinon le meurtre de Pâidîn. Pâidîn saisit le maillet et la femme un manche de bêche et la fille un ribot de baratte et les voilà sortis; les gens qui étaient dehors autour de la. maison les attaquèrent, mais Pâidîn ne fut pas long à les mettre en déroute; il en laissa la moitié étendus par terre, et il ne lui causèrent pas d'autre désagrément à partir de ce jour.
Il est vrai, le dicton, qu'une femme ne peut pas garder un secret, et ce même dicton devint vrai alors; la femme de Pâidîn parla du petit pot à une autre femme; celle-ci le raconta à une autre, en sorte que l'histoire passa de bouche en bouche jusqu'à ce qu'elle arrive aux oreilles du seigneur de la terre: celui-ci vint trouver Pâidîn et dit:
- J'ai entendu dire que tu avais un pot merveilleux; montre le-moi.
Pâidîn lui montra le petit pot et alors le seigneur lui dit :
- Montre-moi la vertu qui est en lui.
Pâidîn frappa trois coups sur la pierre du pot et dit:
- "Nourriture et service."
Il n'avait pas plus tôt dit ces mots que les deux jeunes femmes sautèrent hors du pot et mirent la table avec de la nourriture et de la boisson dessus, devant Pâidîn et le seigneur.

- Par ma main, dit celui-ci, voilà un bon pot; il serait juste que tu me le prêtes un jour, car il y a des gentilshommes qui iront me rendre visite, un jour de la semaine qui vient.
Pâidîn réfléchit à ce qu'il ferait, et enfin il dit :
- Le pot n'aurait aucune vertu si je n'étais pas présent.
- Tu peux venir, et tu seras le bienvenu, dit le seigneur de la terre, mais sois bien habillé.
- Je le serai, dit Pâidîn, car il était fier d'être parmi les gentilshommes.
- Lundi matin sois à ma maison, et sur ton âme ne me manque pas de parole, dit le seigneur.
Le lendemain, Pâidîn acheta un nouveau vêtement complet et quand il l'eut mis, il avait si bon air qu'il s'en fallut de peu que sa femme et sa fille ne le reconnussent pas. Le lundi matin, il prit avec lui le petit pot et il alla à la maison du seigneur. Il y avait là une grande réunion de gentilshommes; le seigneur fit entrer Pâidîn et le petit pot dans le salon, et dit :
- Fais préparer de la nourriture et de la boisson que je voie s'il y en aura assez pour rassasier ces gentilshommes.
Pâidîn frappa trois coups sur la pierre du pot et dit :
- "Nourriture, boisson et gens de service."
Sur-le-champ, six jeunes femmes sautèrent ensemble hors du pot, elles dressèrent une belle table, et dessus il y avait à boire et à manger toutes sortes de choses meilleures les unes que les autres.
Le seigneur invita alors les gentilshommes; ils entrèrent et ils furent pleins d'admiration quand ils virent la belle table et tout ce qui était dessus; ils mangèrent et burent leur content, mais bientôt, un sommeil lourd s'empara d'eux tous et quand ils s'éveillèrent, le toit de la maison avait disparu sans qu'on sût ce qu'il était devenu. Le petit pot, le sifflet et les deux bourses d'or de Pâidîn avaient disparu, et il était aussi pauvre qu'il avait jamais été.
Pendant qu'il était plongé dans le sommeil de l'ivresse, un lorgadân était venu qui avait emporté le tout, et le malheur tomba sur Pâidîn parce qu'il n'avait pas gardé le secret de son ami, le fantôme des arbres.
FIN
Douglas Hyde
Les Lutins
Un soir de la Toussaint, il n’y a pas longtemps de cela, le neveu du père Gautier, de Saint-Brice, s’en alla chercher du foin dans le fenil pour affourer ses vaches. Quand il fut dans le grenier, il entendit du bruit dans tous les coins, mais sans rien voir. Ce bruit ressemblait à celui que font les ouvriers lorsqu’ils écrasent les pommes à cidre dans les auges de bois ou de pierres.
Le gars, effrayé, appela son tonton qui monta à son tour dans le grenier de foin, et dit bien poliment aux lutins : « Voulez-vous ben, s’il vous plaît, cesser votre tapage, que je prenne du foin pour ma jument ? » Le bruit cessa ; mais le fermier était à peine sur l'échelle que le tapage recommença, c’étaient les pilous.
Plusieurs personnes, réunies dans une étable pour la veillée, entendirent les lutins. Le bruit commençait comme s’il n’y avait que deux pilous à marcher : un, deux ; un, deux.
Paul dit en riant: « Si vous étiez trois, m’est avis que ça irait mieux. » On entendit : un, deux, trois ; un, deux, trois. D’autres personnes demandèrent quatre pilous, cinq pilous, etc., et le nombre de coups allait toujours en augmentant.
Une autre fois, trois jeunes filles couchées ensemble entendirent les pilous. Elles voulurent imiter les personnes de la veillée, mais elles en demandèrent trop, et les lutins vinrent frapper et marcher sur la carrée du lit. Effrayées, les filles se turent, laissèrent les pilous s’amuser à leur aise, et bientôt tout rentra dans le silence.
Un vieil avare dit un jour : « Tiens, puisque les pilous viennent chez nous et que nous avons de la filasse à broyer pourquoi ne feraient-ils pas notre besogne, ça nous dispenserait de payer des journalières. »
Tout joyeux de son idée, il porta un gros paquet de filasse dans son grenier, d’où partait le bruit.
Le soir, les pilous firent leur manège habituel ; mais le lendemain matin, quand le bonhomme eut grimpé son degré, qu’on juge de sa désolation, lorsqu’il vit sa filasse hachée et éparpillée à tous les vents. Il y en avait partout : sur les poutres, sur les chevrons du toit, dans tous les coins et recoins. Vous dire si l’avare avait le nez long, et s’il eut envie de recommencer.
Autre part, on entend ces lutins dans le coin du foyer ou dans les murs de la maison, malgré tout ce qu’on peut faire, il n’est pas possible de les apercevoir.
FIN